Dire toute la vérité a l'air d'aller de soi, mais quand on raconte une histoire, on a toujours envie de la modifier un peu pour la rendre plus séduisante. Est-ce du mensonge ?

« Toute la vérité, rien que la vérité, je le jure ! » Et paf, sur la première phrase, un mensonge. C’est impossible que qui que ce soit arrive à formuler une phrase sans mentir, embellir, interpréter ou se tromper. La question est avant tout psychanalytico-philosophique. Non, ne partez pas ! C’est plus simple qu’il n’y paraît ! (ou pas)
Toute la vérité ?
Il y en a qui ont essayé, ils ont eu des problèmes. Plus sérieusement, pour dire la vérité, il faut la connaître, et il y a tant de choses que nous nous cachons déjà à nous-mêmes que je ne suis vraiment pas certain que l’on puisse un jour dire une seule phrase qui soit absolument honnête.
« Bonjour, je suis heureux de vous retrouver sur Mental Actif où je suis fier d’être rédacteur ». Dans l’apparence, tout est juste, mais pourtant, tout se remet en question facilement. Est-ce que je suis sincère quand je vous souhaite le bonjour ? Est-ce que j’ai réellement conscience de vous, lecteurs anonymes quand je m’adresse à vous ? Est-ce que je me sens réellement faire partie de cette équipe rédactionnelle après seulement quelques articles ?
Comme vous n’avez pas ces réponses et que moi seul les ai, vous ne pouvez pas savoir si je mens. Ce « mensonge de confort » qui m’appartient me permet de ne pas être sincère tout le temps. Si quelqu’un lisait dans mon esprit, je me retrouverais sans aucun choix possible et devrais faire tout ce qu’on attend de moi, ou fâcher tout le monde.
Si je n’ai pas envie de parler de moi quand j’ai l’air triste, je dis « je suis fatigué ».
Si je veux me débarrasser d’un problème en le confiant à un autre, je dis « j’ai tout essayé ».
Si je veux m’éviter une corvée, je m’invente une excuse qui commence par « J’aurai aimé t’aider, mais… »
Invérifiable, donc ça n’est pas vraiment du mensonge. C’est du confort. Et ça, c’est sûr, tout le monde l’a déjà fait. Ne niez pas !
On peut aussi parler des phrases que l’on utilise et qui, dans un contexte donné, veulent dire autre chose. La personne à qui on s’adresse comprend ces sous-entendus qui ne sont que des vérités déguisées : « ça va bien ». Mensonge ?
Je ne vous ferai pas la même analyse que l’excellent John Gray (« les femmes viennent de Venus, les hommes de mars »), mais nombre de phrases qu’on utilise chaque jour contiennent bien d’autres sens que ce que l’on dit réellement. Notre fameux « Je t’aime » a, par exemple des dizaines de sens différents en fonction du contexte dans lequel on le dit. Et comme le fait remarquer John Gray, il ne veut presque jamais simplement dire « Je suis en train de t’aimer », alors que c’est tout ce qu’il est sensé vouloir exprimer.
Je serai bien curieux de savoir à quoi ressemblerait un dialogue absolument vrai et authentique, sans le moindre mensonge. Insupportable, j’imagine.
Le mensonge dans nos récits
Pour commencer, je ne parlerai pas des mensonges socialement admis, comme les blagues, les commerciaux, la politesse ou la sympathie (le tact). Je ne porte mon regard que sur notre parole, lorsque nous racontons des instants de nos vies. Peut-on le faire sans mentir ? Ça en deviendrait bien triste…
Broder l’histoire pour la rendre plus belle
Avant le vilain mensonge, il y a le joli embellissement. Vous savez, raconter une histoire en modifiant le contexte, la trame, les personnages. Pas grand-chose, juste de quoi rendre le récit plus palpitant, plus proche de votre interlocuteur. Le but est de créer une empathie plus forte de la part de votre auditeur, et une adhésion plus franche à la morale de votre récit. L’histoire d’un proche devient soudainement la vôtre. La fin change pour la rendre plus lisible. On enlève des personnages, on rajoute des actes méchants, une victime. On met de la pluie à la place du soleil.
Est-ce un mal ? Ça relève plus du conteur que du menteur quand on y regarde de plus près. Les histoires vécues deviennent des supports de récits à lourde charge émotive. Quel ami ne vous a pas mis en colère contre quelqu’un d’autre en vous racontant une injustice si flagrante que vous ne pouviez que compatir à son propos ? La plupart de temps, ça concerne des gens qu’on ne connaît pas, mais l’histoire est toujours irrésistiblement belle ou triste, sans demi-mesure.
La limite ici est simple. Tant que le fond de l’histoire reste vrai, on sait qu’on fait de la broderie, et que ça peut ne pas être réellement considéré comme du mensonge.
Je vous conseille d’ailleurs l’extraordinaire « Big Fish » de Tim Burton, qui aborde de manière poétique la question de l’exagération.
Mentir – et inventer une histoire
Mentir, c’est mal. Ne comptez pas sur moi ici pour soutenir le contraire. C’est justement la limite à ne pas dépasser avec laquelle tout le monde flirte allègrement. Prendre une histoire qui nous est arrivée et la raconter en conservant son fond de vérité est une habitude trop ancrée dans nos moeurs pour vouloir la rejeter. Mais mentir, c’est inventer de toutes pièces quelque chose pour obtenir un effet, que ce soit de la compassion, de la colère envers autrui, des rumeurs malsaines, une vengeance. En somme, une manipulation.
Si vous vous rendez compte que vous essayez trop souvent de vous faire mieux voir par votre entourage grâce à des récits que vous inventez, considérez qu’il s’agit d’un signal d’alarme. Il y a urgence à changer de vie. Mettez-vous au sport, rencontrez du monde, créez de réels évènements, cherchez de nouvelles interactions, achetez le dernier gadget à la mode, lisez la presse, et jurez-vous de ne parler que de faits réels. Vous devez sortir de ce cercle vicieux. Freinez de toutes vos forces votre envie de briller et concentrez-vous sur ce qui vous arrive vraiment.Le mensonge vous colle à la peau comme du goudron
Un mensonge peut vous amener très loin et la vérité, dans un grand nombre de ces cas, est souvent libératrice, quitte à ce que ça fasse beaucoup de dégâts. On se rappellera sûrement de l’histoire de Jean-Claude Romand qui, pendant 18 ans, a fait croire à tout son entourage qu’il était médecin à l’OMS et qui a fini par assassiner tous les membres de sa famille, parents, femme et enfants pour ne pas avoir à assumer son mensonge. On se rappellera particulièrement que pendant 18 longues années, il allait chaque jour dans un petit bois se cacher et attendre patiemment toute la journée pour donner l’illusion de son travail à l’OMS. La vérité, plus simple, était qu’il ne s’était pas réveillé pour son examen de seconde année de médecine. Mais ça, il n’a pas osé le dire à ses parents à l’époque.
Le mensonge nous court toujours après, comme une ombre. Ceux qui ont trompé un jour leur conjoint connaissent bien cette sensation, ce silence honteux et assourdissant qu’on doit assumer au quotidien pour garder l’équilibre intact. La bombe est alors en nous. Révélée, elle détruira tout sur son passage. À l’explosion, le sentiment de libération est néanmoins toujours là malgré la souffrance que cela peut engendrer.
La morale de mon histoire ?
Elle est simple. Jouez avec vos histoires, rendez-les passionnantes sans trop les dénaturer, améliorez-les et faites vibrer votre auditoire et vous serez un grand conteur, tant que vous racontez globalement la vraie histoire.
Gardez aussi les « petits mensonges de confort » comme un refuge intime qui vous offre la liberté de faire ce qui est bon pour vous sans vexer vos proches ou vos supérieurs, mais restez prudent, une erreur est vite commise et les dégâts peuvent être considérables.
Mais surtout, n’inventez pas un récit de toutes pièces pour que les autres le croient comme vrai. Interdisez-vous-le, car c’est une véritable porte vers vos enfers que vous allez créer. Le mensonge vous collera à la peau comme du goudron et se retournera toujours contre vous, tôt ou tard. Ne dépassez pas cette ligne. Car en mensonge, il n’y a qu’une seule loi : « plus dure sera la chute », ne l’oubliez pas.
N’hésitez pas à me donner votre point de vue sur la question dans les commentaires.
Source
Big Fish de Tim Burton, 2003
« Les hommes viennent de mars, les femmes de Vénus, de John Gray, 1992
” Mensonge “, sur Wikipedia